L'étrange bibliothèque nationale salvadorienne : vitrine chinoise du président

Amplement valorisée par Nayib Bukele dans le dessein de sa réélection, la moderne Bibliothèque Nationale de San Salvador s'inscrit parmi les bienfaits octroyés par Pékin à ce pays qui lui est acquis. Malgré cela, il est à noter un manque d'égards envers la lecture et les ouvrages anciens en ce lieu.


Il s'agit là d'une des réalisations que le président salvadorien, Nayib Bukele, a le plus promues sur ses réseaux sociaux, faisant usage abondant d'images aériennes. Cependant, il est à souligner qu'il ne s'agit point du Centre de Confinement du Terrorisme (Cecot), la plus vaste prison d'Amérique centrale, réservée aux membres des gangs, que le président a également exhibée à maintes reprises en vidéos, mais plutôt d'une œuvre à vocation culturelle.


En novembre 2023, le chef de l’État a inauguré une nouvelle bibliothèque nationale, la Binaes, également présentée comme « la plus grande et la plus moderne d’Amérique centrale », ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre et tous les jours de l’année. Nayib Bukele s’est empressé de préciser que cette ouverture en continu était rendue possible « grâce à la sécurité qui règne désormais dans le pays » après l’incarcération de près de soixante-quinze mille pandilleros (membres des gangs).


Réélu le 4 février, l’ultra-populaire Nayib Bukele a, pendant sa campagne, fait de cette bibliothèque un précieux outil de promotion de son image de « président le plus cool du monde ». L’édifice fait partie des quatre projets offerts au Salvador par la Chine. Sous le mandat de l’ex-président salvadorien Salvador Sánchez Cerén (2014-2019), le Salvador avait rompu ses relations avec Taïwan en 2018 et avait reconnu la Chine populaire comme « une et indivisible ».


L’année suivante, après l’élection de Nayib Bukele, la Chine a financé quatre infrastructures au Salvador : un stade de football, un port, une usine de traitement de l’eau et une bibliothèque nationale – des projets choisis par le tout nouveau président, alors âgé de 37 ans. « La Chine montre ainsi au Salvador, mais aussi aux pays de la région qui continuent de reconnaître Taïwan, comme le Guatemala et le Belize, qu’ils peuvent compter sur son aide. Ces cadeaux répondent à des intérêts purement politiques pour affaiblir Taïwan », rappelle la chercheuse Marisela Connelly, spécialiste de la Chine au centre d’études Afrique et Asie de l’université Colmex de Mexico.


Située au cœur du centre historique de San Salvador, la capitale, la bibliothèque nationale aux sept étages rythmés par des rampes de lumières, détonne aux côtés du Théâtre national, du Palais national et de la cathédrale. Pékin a confié ce projet de 54 millions de dollars à l’entreprise de BTP chinoise Yanjian Group, qui a déjà mené à bien vingt-huit projets de coopération pour son gouvernement à travers le monde entier. Selon le vice-ministre salvadorien de la culture, Eric Doradea, les services du patrimoine ont collaboré au plan et la bibliothèque présente « un certain nombre d’éléments de notre culture, en particulier sa forme pyramidale qui évoque les monticules des centres cérémoniels précolombiens ».